Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/119

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Choulette s’animait, agitait son couteau, tandis que, sous le soleil frileux, passaient les champs de terre brune, les bouquets violets des arbres dépouillés par l’hiver et les rideaux de peupliers au bord des rivières argentées.

Il regarda avec attendrissement la figure sculptée sur son bâton.

— Te voilà, lui dit-il, pauvre Humanité, maigre et pleurante, stupide de honte et de misère, telle que t’ont faite tes maîtres, le soldat et le riche.

La bonne madame Marmet, qui avait un neveu capitaine d’artillerie, jeune homme charmant, attaché à sa profession, était choquée de la violence avec laquelle Choulette attaquait l’armée. Madame Martin n’y voyait qu’une fantaisie amusante. Les idées de Choulette ne l’effrayaient pas. Elle n’avait peur de rien. Mais elle les trouvait un peu absurdes, elle ne pensait point que le passé eût jamais été meilleur que le présent.

— Je crois, monsieur Choulette, que les hommes ont été de tout temps ce qu’ils sont aujourd’hui, égoïstes, violents, avares et sans pitié. Je crois que les lois et les mœurs ont toujours été dures et cruelles aux malheureux.

Entre La Roche et Dijon, ils déjeunèrent dans le wagon-restaurant et y laissèrent Choulette seul avec sa pipe, son verre de bénédictine et son âme irritée.