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Il restait immobile, songeur, regardait sans voir. Il essayait de se rassurer : peut-être était-ce une lettre insignifiante qu’elle avait voulu cacher à l’agaçante curiosité de madame Marmet.

— Monsieur Dechartre, il serait temps de rejoindre nos amies chez la modiste du Corso.

Peut-être écrivait-elle à madame Schmoll, qui était brouillée avec madame Marmet. Et tout de suite il s’apercevait de la niaiserie de ces suppositions.

C’était bien clair. Elle avait un amant. Elle lui écrivait. Peut-être qu’elle lui disait : « J’ai vu Dechartre aujourd’hui, le pauvre garçon est amoureux de moi. » Mais qu’elle écrivît cela ou autre chose, elle avait un amant. Il n’y avait pas encore songé. La savoir à un autre, brusquement, il en ressentait une souffrance de toute la chair et de toute l’âme. Et cette main, cette petite main glissant la lettre lui restait dans les yeux et y faisait une atroce brûlure.

Elle ne savait pas pourquoi il était devenu tout à coup muet, sombre. C’est en le voyant jeter un regard anxieux sur la boîte aux lettres qu’elle devina. Elle le trouva bizarre d’être jaloux sans en avoir le droit ; mais elle ne s’en fâcha pas.

Arrivés sur le Corso, ils virent de loin miss Bell