Page:Anatole France - Les Opinions de Jérôme Coignard.djvu/157

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en réalité, que des bésicles plus nettes que les miennes que j’achetai l’an passé à l’opticien de la foire Saint-Laurent et dont le verre de l’œil gauche, qui est celui dont je vois le mieux, s’est malheureusement fendu cet hiver d’un tabouret que me jeta à la tête le coutelier boiteux, qui croyait que j’embrassais Catherine la dentellière, car c’est un homme grossier et tout à fait offusqué par les impressions du désir charnel ? Oui, Tournebroche, mon fils, que sont ces instruments dont les savants et les curieux emplissent leurs galeries et leurs cabinets ? Que sont les lunettes, astrolabes, boussoles, sinon des moyens d’aider les sens dans leurs illusions et de multiplier l’ignorance fatale où nous sommes de la nature, en multipliant nos rapports avec elle ? Les plus doctes d’entre nous diffèrent uniquement des ignorants par la faculté qu’ils acquièrent de s’amuser à des erreurs multiples et compliquées. Ils voient l’univers dans une topaze taillée à facettes au