Page:Anatole France - Les Opinions de Jérôme Coignard.djvu/169

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grand César. Il en coûterait trop à mon innocence. Et j’aime mieux être un homme obscur, pauvre et méprisé, comme je le suis en effet, que de monter à ce faîte où l’on ouvre à l’univers de nouvelles destinées par des voies sanglantes.

» Ce sergent recruteur, que vous entendez d’ici promettre à ces gueux un sou par jour avec le pain et la viande, m’inspire, mon fils, de profondes réflexions sur la guerre et l’armée. J’ai fait tous les métiers, hors celui de soldat qui m’a toujours inspiré du dégoût et de l’effroi, par les caractères de servitude, de fausse gloire et de cruauté qui y sont attachés, et qui se trouvent les plus contraires à mon naturel pacifique, à mon amour sauvage de la liberté et à mon esprit qui, jugeant sainement de la gloire, estime au juste prix celle de la mousqueterie. Je ne parle point de mon penchant invincible à la méditation qui eût été trop excessivement contrarié par l’exercice du sabre et du fusil. Ne voulant point être César, vous concevrez