Page:Anatole France - Les Opinions de Jérôme Coignard.djvu/18

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gloire littéraire, et l’estimait à sa valeur, c’est-à-dire autant comme rien. Il la savait incertaine, capricieuse, sujette à toutes les vicissitudes et dépendant de circonstances en elles-mêmes petites et misérables. Voyant ses contemporains ignorants, injurieux et médiocres, il n’y trouvait point de raison d’espérer que leur postérité devînt tout à coup savante, équitable et sûre. Il augurait seulement que l’avenir, étranger à nos querelles, nous accorderait son indifférence à défaut de justice. Nous sommes presque assurés que, grands et petits, elle nous réunira dans l’oubli et répandra sur nous tous l’égalité paisible du silence. Mais, si cette espérance nous trompait par grand hasard, si la race future gardait quelque mémoire de notre nom ou de nos écrits, nous pouvons prévoir qu’elle ne goûterait notre pensée que par ce travail ingénieux de faux sens et de contresens qui seul perpétue les ouvrages du génie à travers les âges. La longue durée des chefs-d’œuvre est assurée au prix d’aventures