Page:Anatole France - Les Opinions de Jérôme Coignard.djvu/220

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dans quelqu’une de ces vastes entreprises qui tentent la fierté d’une âme impétueuse. La réflexion m’y embarrasserait dès les premiers pas et je découvrirais à chacun de mes mouvements des raisons pour m’arrêter.

Puis se tournant vers moi, mon bon maître dit en soupirant :

— C’est une grande infirmité que de penser. Dieu vous en garde, Tournebroche, mon fils, comme il en a gardé ses plus grands saints et les âmes que, chérissant d’une dilection singulière, il réserve à la gloire éternelle. Les hommes qui pensent peu ou ne pensent point du tout font heureusement leurs affaires en ce monde et dans l’autre, tandis que les méditatifs sont menacés incessamment de leur perte temporelle et spirituelle, tant il est de malice dans la pensée ! Considérez, en frémissant, mon fils, que le Serpent de la Genèse est le plus antique des philosophes et leur prince éternel !