Page:Anatole France - Les Opinions de Jérôme Coignard.djvu/280

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L’idée de pure vengeance qu’on attache plus communément à la peine des malfaiteurs, bien que basse et mauvaise en soi-même, est moins terrible dans ses conséquences que cette furieuse vertu des philosophes tourmenteurs. J’ai connu jadis à Séez un bourgeois d’humeur joviale et bon homme, qui mettait tous les soirs ses petits enfants sur ses genoux et leur faisait des contes. Il menait une vie exemplaire, s’approchait des sacrements et se piquait d’une exacte probité dans le commerce des grains qu’il exerçait depuis soixante ans ou plus. Il lui arriva d’être volé par sa servante de quelques doublons, ducassons, nobles à la rose et autres belles pièces d’or qu’il gardait curieusement dans un étui, au fond d’un tiroir. Dès qu’il s’aperçut de ce dommage, il en fit aux juges une plainte sur laquelle la servante fut questionnée, jugée, condamnée et suppliciée. Le bonhomme, qui savait son droit, exigea qu’on lui remît la peau de sa voleuse, dont il se fit faire une paire