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LES DIEUX ONT SOIF

Évariste ne répondit pas. Élodie fut bien loin de mesurer la profondeur de ce silence.

Ils allèrent, la main dans la main, le long des berges de la Seine. Ils se disaient leur mutuelle tendresse dans le langage de Julie et de Saint-Preux : le bon Jean-Jacques leur donnait les moyens de peindre et d’orner leur amour.

La municipalité avait accompli ce prodige de faire régner pour un jour l’abondance dans la ville affamée. Une foire s’était installée sur la place des Invalides, au bord de la rivière : des marchands vendaient, dans des baraques, des saucissons, des cervelas, des andouilles, des jambons couverts de lauriers, des gâteaux de Nanterre, des pains d’épices, des crêpes, des pains de quatre livres, de la limonade et du vin. Il y avait aussi des boutiques où l’on vendait des chansons patriotiques, des cocardes, des rubans tricolores, des bourses, des chaînes de laiton et toutes sortes de menus joyaux. S’arrêtant à l’étalage d’un humble bijoutier, Évariste choisit une bague en argent où l’on voyait en relief la tête de Marat entortillée d’un foulard. Et il la passa au doigt d’Élodie.


Gamelin se rendit, ce soir-là, rue de l’Arbre-Sec, chez la citoyenne Rochemaure, qui l’avait mandé pour affaire pressante. Il la trouva dans