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LES DIEUX ONT SOIF

En face de la chambre des citoyennes était une chambre à trois lits, assez petite, où devaient coucher, à leurs guises, les citoyens voyageurs. Mais Brotteaux, qui était sybarite, s’en était allé à la grange dormir dans le foin. Quant à Jean Blaise, il avait disparu. Dubois et Gamelin ne tardèrent pas à s’endormir. Desmahis se mit au lit ; mais, quand le silence de la nuit eut, comme une eau dormante, recouvert la maison, le graveur se leva et monta l’escalier de bois, qui se mit à craquer sous ses pieds nus. La porte du grenier était entre-bâillée. Il en sortait une chaleur étouffante et des senteurs âcres de fruits pourris. Sur un lit de sangle boiteux, la Tronche dormait, la bouche ouverte, la chemise relevée, les jambes écartées. Elle était énorme. Traversant la lucarne, un rayon de lune baignait d’azur et d’argent sa peau qui, entre des écailles de crasse et des éclaboussures de purin, brillait de jeunesse et de fraîcheur. Desmahis se jeta sur elle ; réveillée en sursaut, elle eut peur et cria ; mais, dès qu’elle comprit ce qu’on lui voulait, rassurée, elle ne témoigna ni surprise ni contrariété et feignit d’être encore plongée dans un demi-sommeil qui, en lui ôtant la conscience des choses, lui permettait quelque sentiment…

Desmahis rentra dans sa chambre, où il