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LES DIEUX ONT SOIF

mouches et ses Colinettes. Il protestait de leur innocence et de la sienne. Mais le citoyen Caillou ne voulait rien entendre.

— Citoyen Brotteaux, remportez vos pantins. Je vous estime, je vous honore, mais ne veux être ni blâmé ni inquiété à cause de vous. Je respecte la loi. J’entends rester bon citoyen et être traité comme tel. Bonsoir, citoyen Brotteaux ; remportez vos pantins.

Le vieux Brotteaux reprit le chemin de son logis, portant ses suspects sur l’épaule au bout d’une perche, et moqué par les enfants qui croyaient que c’était le marchand de mort-aux-rats. Ses pensées étaient tristes. Sans doute, il ne vivait pas seulement de ses pantins : il faisait des portraits à vingt sols, sous les portes cochères et dans un tonneau des halles, en compagnie des ravaudeuses, et beaucoup de jeunes garçons, qui partaient pour l’armée, voulaient laisser leur portrait à leur jeune maîtresse. Mais ces petits ouvrages lui donnaient un mal extrême, et il s’en fallait de beaucoup qu’il fît ses portraits aussi bien que ses pantins. Il servait parfois de secrétaire aux dames de la halle, mais c’était se mêler à des complots royalistes et les risques étaient gros. Il se rappela qu’il y avait dans la rue Neuve-des-Petits-Champs, proche la place ci-devant Vendôme, un autre marchand de