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LES DIEUX ONT SOIF

c’était tant pis pour moi. Enfin, après diverses questions, il me demanda si j’avais prouvé mon civisme le 10 août, le 2 septembre et le 31 mai. « On ne peut donner de certificats, ajouta-t-il, qu’à ceux qui ont prouvé leur civisme par leur conduite en ces trois occasions. » Je ne pus lui faire une réponse qui le satisfît. Toutefois il prit mon nom et mon adresse et me promit de faire promptement une enquête sur mon cas. Il tint parole et c’est en conclusion de son enquête que deux commissaires du Comité de sûreté générale de Picpus, assistés de la force armée, se présentèrent à mon logis en mon absence pour me conduire en prison. Je ne sais de quel crime on m’accuse. Mais convenez qu’il faut plaindre monsieur Colin, dont l’esprit est assez troublé pour reprocher à un ecclésiastique de n’avoir pas montré son civisme le 10 août, le 2 septembre, le 31 mai. Un homme capable d’une telle pensée est bien digne de pitié.

— Moi non plus, je n’ai point de certificat, dit Brotteaux. Nous sommes tous deux suspects. Mais vous êtes las. Couchez-vous, mon Père. Nous aviserons demain à votre sécurité.

Il donna le matelas à son hôte et garda pour lui la paillasse, que le religieux réclama par humilité, avec une telle instance qu’il fallut le satisfaire : il eût, sans cela, couché sur le carreau.