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LES DIEUX ONT SOIF

d’un croyant qui sait le mot qui sauve et le mot qui perd. Désormais le Tribunal révolutionnaire, comme autrefois les tribunaux ecclésiastiques, connaîtrait du crime absolu, du crime verbal. Et, parce qu’il avait l’esprit religieux, Évariste recevait ces révélations avec un sombre enthousiasme ; son cœur s’exaltait et se réjouissait à l’idée que désormais, pour discerner le crime et l’innocence, il possédait un symbole. Vous tenez lieu de tout, ô trésors de la foi !

Le sage Maximilien l’éclairait aussi sur les intentions perfides de ceux qui voulaient égaliser les biens et partager les terres, supprimer la richesse et la pauvreté et établir pour tous la médiocrité heureuse. Séduit par leurs maximes, il avait d’abord approuvé leurs desseins qu’il jugeait conformes aux principes d’un vrai républicain. Mais Robespierre, par ses discours aux Jacobins, lui avait révélé leurs menées et découvert que ces hommes, dont les intentions paraissaient pures, tendaient à la subversion de la République, et n’alarmaient les riches que pour susciter à l’autorité légitime de puissants et implacables ennemis. En effet, sitôt la propriété menacée, la population tout entière, d’autant plus attachée à ses biens qu’elle en possédait peu, se retournait brusquement contre la République. Alarmer les intérêts, c’est cons-