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LES DIEUX ONT SOIF

le reçut comme la première fois, dans son cabinet. Là, retrouvant le pantin accroché à la cheminée, il s’en approcha vivement et demanda à son hôte la grâce d’en tirer un moment la ficelle. L’avocat la lui accorda très volontiers et lui confia que parfois il faisait danser Scaramouche (c’était le nom du pantin) en préparant ses plaidoiries et que, la veille encore, il avait réglé, sur les mouvements de Scaramouche, sa péroraison en faveur d’une femme accusée faussement d’avoir empoisonné son mari. Le Père Magitot saisit en tremblant la ficelle, et vit sous sa main Scaramouche s’agiter comme un possédé qu’on exorcise. Ayant ainsi contenté son caprice, il fut délivré de l’obsession.

— Votre récit ne me surprend pas, mon Père, dit Brotteaux. On voit de ces obsessions. Mais ce ne sont pas toujours des figures de carton qui les causent.

Le Père Longuemare, qui était religieux, ne parlait jamais de religion ; Brotteaux en parlait constamment. Et, comme il se sentait de la sympathie pour le Barnabite, il se plaisait à l’embarrasser et à le troubler par des objections à divers articles de la doctrine chrétienne.

Une fois, tandis qu’ils fabriquaient ensemble des Zerlines et des Scaramouches :

— Quand je considère, dit Brotteaux, les