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LES DIEUX ONT SOIF

Et de sa voix haletante et faible, que conduisit un esprit lucide :

— Mon ami, comme Eudamidas, je te lègue mes dettes : trois cent vingt livres dont tu trouveras le compte… dans ce cahier rouge… Adieu, Gamelin. Ne t’endors pas. Veille à la défense de la République. Ça ira.

L’ombre de la nuit descendait dans la cellule. On entendit le mourant pousser un souffle embarrassé, et ses mains qui grattaient le drap.

À minuit, il prononça des mots sans suite :

— Encore du salpêtre… Faites livrer les fusils… La santé ? très bonne… Descendez ces cloches…

Il expira à cinq heures du matin.

Par ordre de la section, son corps fut exposé dans la nef de la ci-devant église des Barnabites, au pied de l’autel de la Patrie, sur un lit de camp, le corps recouvert d’un drapeau tricolore et le front ceint d’une couronne de chêne.

Douze vieillards vêtus de la toge latine, une palme à la main, douze jeunes filles, traînant de longs voiles et portant des fleurs, entouraient le lit funèbre. Aux pieds du mort, deux enfants tenaient chacun une torche renversée. Évariste reconnut en l’un d’eux la fille de sa concierge, Joséphine, qui, par sa gravité enfantine et sa beauté charmante, lui rappela ces génies de