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LES DIEUX ONT SOIF

— Comment ? que dis-tu, ma mère ?

— Je dis qu’il vaut mieux que tu ne parles pas à ton frère de monsieur de Chassagne.

— Maman, il le faut bien, pourtant !

— Mon enfant, Évariste ne pardonne pas à monsieur de Chassagne de t’avoir enlevée. Tu sais avec quelle colère il parlait de lui, quels noms il lui donnait.

— Oui, il l’appelait corrupteur, fit Julie avec un petit rire sifflant, en haussant les épaules.

— Mon enfant, il était mortellement offensé. Évariste a pris sur lui de ne plus parler de monsieur de Chassagne. Et voilà deux ans qu’il n’a soufflé mot de lui ni de toi. Mais ses sentiments n’ont pas changé ; tu le connais : il ne vous pardonne pas.

— Mais, maman, puisque Fortuné m’a épousée… à Londres…

La pauvre mère leva les yeux et les bras :

— Il suffit que Fortuné soit un aristocrate, un émigré, pour qu’Évariste le traite comme un ennemi.

— Enfin, réponds, maman. Penses-tu que, si je lui demande de faire auprès de l’accusateur public et du Comité de sûreté générale les démarches nécessaires pour sauver Fortuné, il n’y consentira pas ?… Mais, maman, ce serait un monstre, s’il refusait !