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LES DIEUX ONT SOIF

Brotteaux logeait depuis trois jours à la pistole, quand il apprit, par le porte-clefs, que le père Longuemare croupissait sur la paille pourrie, dans la vermine, avec les voleurs et les assassins. Il le fit recevoir à la pistole, dans la chambre qu’il habitait et où un lit était devenu vacant. S’étant engagé à payer pour le religieux, le vieux publicain, qui n’avait pas sur lui un grand trésor, s’ingénia à faire des portraits à un écu l’un. Il se procura, par l’intermédiaire d’un geôlier, de petits cadres noirs pour y mettre de menus travaux en cheveux qu’il exécutait assez adroitement. Et ces ouvrages furent très recherchés dans une réunion d’hommes qui songeaient à laisser des souvenirs.

Le père Longuemare tenait haut son cœur et son esprit. En attendant d’être traduit devant le Tribunal révolutionnaire, il préparait sa défense. Ne séparant point sa cause de celle de l’Église, il se promettait d’exposer à ses juges les désordres et les scandales causés à l’Épouse de Jésus-Christ par la constitution civile du clergé ; il entreprenait de peindre la fille aînée de l’Église faisant au pape une guerre sacrilège ; le clergé français dépouillé, violenté, odieusement soumis à des laïques ; les réguliers, véritable milice du Christ, spoliés et dispersés. Il citait saint Grégoire le Grand et saint Irénée, produisait des