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LES DIEUX ONT SOIF

le sais, des sympathies jusque dans le Comité de salut public. Je ferai agir mes amis : ils me délivreront, et je vous délivrerai à mon tour.

Mais Brotteaux, d’une voix qui se fit pressante :

— Par tout ce que vous avez de cher, mon enfant, n’en faites rien ! N’écrivez pas, ne sollicitez pas ; ne demandez rien à personne, je vous en conjure, faites-vous oublier.

Comme elle ne semblait pas pénétrée de ce qu’il disait, il se fit plus suppliant encore :

— Gardez le silence, Rose, faites-vous oublier : là est le salut. Tout ce que vos amis tenteraient ne ferait que hâter votre perte. Gagnez du temps. Il en faut peu, très peu, j’espère, pour vous sauver… Surtout n’essayez pas d’émouvoir les juges, les jurés, un Gamelin. Ce ne sont pas des hommes, ce sont des choses : on ne s’explique pas avec les choses. Faites-vous oublier. Si vous suivez mon conseil, mon amie, je mourrai heureux de vous avoir sauvé la vie.

Elle répondit :

— Je vous obéirai… Ne parlez pas de mourir.

Il haussa les épaules :

— Ma vie est finie, mon enfant. Vivez et soyez heureuse.

Elle lui prit les mains et les mit sur son sein :