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LES DIEUX ONT SOIF

une fenêtre close et, dès qu’elle voyait la fenêtre s’ouvrir, elle élevait son petit enfant dans ses bras, au-dessus de sa tête. Une vieille dame, voilée de dentelle, se tenait de longues heures immobile sur un pliant, espérant en vain apercevoir un moment son fils qui, pour ne pas s’attendrir, jouait au palet dans la cour de la prison, jusqu’à ce qu’on eût fermé le jardin.

Durant ces longues stations sous le ciel gris ou bleu, un homme d’un âge mûr, assez gros, très propre, se tenait sur un banc voisin, jouant avec sa tabatière et ses breloques, et dépliant un journal qu’il ne lisait jamais. Il était vêtu, à la vieille mode bourgeoise, d’un tricorne à galon d’or, d’un habit zinzolin et d’un gilet bleu, brodé d’argent. Il avait l’air honnête ; il était musicien, à en juger par la flûte dont un bout dépassait sa poche. Pas un moment il ne quittait des yeux le faux jeune garçon, il ne cessait de lui sourire et, le voyant se lever, il se levait lui-même et le suivait de loin. Julie, dans sa misère et dans sa solitude, se sentait touchée de la sympathie discrète que lui montrait ce bon homme.

Un jour, comme elle sortait du jardin, la pluie commençant à tomber, le bon homme s’approcha d’elle et, ouvrant son vaste parapluie rouge, lui demanda la permission de l’en abriter.