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LES DIEUX ONT SOIF

ta pensée. Ta mélancolie, ta fatigue et jusqu’à cette expression d’effroi empreinte dans tes regards, tout en toi dit : « Que la terreur s’achève et que la fraternité commence ! Français, soyez unis, soyez vertueux, soyez bons. Aimez-vous les uns les autres… » Eh bien ! je servirai tes desseins ; pour que tu puisses, dans ta sagesse et ta bonté, mettre fin aux discordes civiles, éteindre les haines fratricides, faire du bourreau un jardinier qui ne tranchera plus que les têtes des choux et des laitues, je préparerai avec mes collègues du Tribunal les voies de la clémence, en exterminant les conspirateurs et les traîtres. Nous redoublerons de vigilance et de sévérité. Aucun coupable ne nous échappera. Et quand la tête du dernier des ennemis de la République sera tombée sous le couteau, tu pourras être indulgent sans crime et faire régner l’innocence et la vertu sur la France, ô père de la patrie ! »

L’Incorruptible était déjà loin. Deux hommes en chapeau rond et culotte de nankin, dont l’un, d’aspect farouche, long et maigre, avait un dragon sur l’œil et ressemblait à Tallien, le croisèrent au tournant d’une allée, lui jetèrent un regard oblique et, feignant de ne point le reconnaître, passèrent. Quand ils furent à une