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LES DIEUX ONT SOIF

comme Gamelin, mis comme lui hors la loi. Il revit son banc, le dossier sur lequel il avait coutume de s’appuyer, la place d’où il avait terrorisé des malheureux, la place où il lui avait fallu subir le regard de Jacques Maubel, de Fortuné Chassagne, de Maurice Brotteaux, les yeux suppliants de la citoyenne Rochemaure qui l’avait fait nommer juré et qu’il en avait récompensée par un verdict de mort. Il revit, dominant l’estrade où les juges siégeaient sur trois fauteuils d’acajou, garnis de velours d’Utrecht rouge, les bustes de Chalier et de Marat et ce buste de Brutus qu’il avait un jour attesté. Rien n’était changé, ni les haches, les faisceaux, les bonnets rouges du papier de tenture, ni les outrages jetés par les tricoteuses des tribunes à ceux qui allaient mourir, ni l’âme de Fouquier-Tinville, têtu, laborieux, remuant avec zèle ses papiers homicides, et envoyant, magistrat accompli, ses amis de la veille à l’échafaud.

Les citoyens Remacle, portier tailleur, et Dupont aîné, menuisier, place de Thionville, membre du Comité de surveillance de la section du Pont-Neuf, reconnurent Gamelin (Évariste), artiste peintre, ex-juré au Tribunal révolutionnaire, ex-membre du conseil général de la Commune. Ils témoignaient pour un assignat de