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LES DIEUX ONT SOIF

mahis, gravez-moi donc un portrait de Charlotte Corday.

Une femme grande et belle, brune, enveloppée de fourrures, entra dans le magasin et fit au citoyen Blaise un petit salut intime et discret. C’était Julie Gamelin ; mais elle ne portait plus ce nom déshonoré : elle se faisait appeler « la citoyenne veuve Chassagne » et était habillée, sous son manteau, d’une tunique rouge, en l’honneur des chemises rouges de la Terreur.

Julie avait d’abord senti de l’éloignement pour l’amante d’Évariste : tout ce qui avait touché à son frère lui était odieux. Mais la citoyenne Blaise, après la mort d’Évariste, avait recueilli la malheureuse mère dans les combles de la maison de l’Amour peintre. Julie s’y était aussi réfugiée ; puis elle avait retrouvé une place dans la maison de modes de la rue des Lombards. Ses cheveux courts, « à la victime », son air aristocratique, son deuil lui attiraient les sympathies de la jeunesse dorée. Jean Blaise, que Rose Thévenin avait à demi quitté, lui offrit des hommages qu’elle accepta. Cependant Julie aimait à porter, comme aux jours tragiques, des vêtements d’homme : elle s’était fait faire un bel habit de muscadin et allait souvent, un énorme bâton à la main, souper dans quelque