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LES DIEUX ONT SOIF

l’emporterait encore aujourd’hui, s’ils ne s’accordaient tous deux, Évariste, pour me donner à vous entièrement et à jamais !

Elle s’exprimait avec mesure et fermeté. Ses paroles étaient préparées ; depuis longtemps elle avait résolu de faire sa confession, parce qu’elle était franche, parce qu’elle se plaisait à imiter Jean-Jacques et parce qu’elle se disait raisonnablement : « Évariste saura, quelque jour, des secrets dont je ne suis pas seule dépositaire ; il vaut mieux qu’un aveu, dont la liberté est toute à ma louange, l’instruise de ce qu’il aurait appris un jour à ma honte. » Tendre comme elle était et docile à la nature, elle ne se sentait pas très coupable et sa confession en était moins pénible ; elle comptait bien, d’ailleurs, ne dire que le nécessaire.

— Ah ! soupira-t-elle, que n’êtes-vous venu à moi, cher Évariste, à ces moments où j’étais seule, abandonnée ?…

Gamelin avait pris à la lettre la demande que lui avait faite Élodie d’être son juge. Préparé de nature et par éducation littéraire à l’exercice de la justice domestique, il s’apprêtait à recevoir les aveux d’Élodie.

Comme elle hésitait, il lui fit signe de parler.

Elle dit très simplement :

— Un jeune homme, qui parmi de mauvaises