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LES DIEUX ONT SOIF

— Il faut convenir, répondit Brotteaux, que, dans leur grande envie de pendre le larron, ces gens-ci eussent fait un mauvais parti à ce bon religieux, à son défenseur et au défenseur de son défenseur. Leur avarice même et l’amour égoïste qu’ils portent à leur bien les y poussaient : le larron, en s’attaquant à l’un d’eux, les menaçait tous ; ils se préservaient en le punissant… Au reste, il est probable que la plupart de ces manouvriers et de ces ménagères sont probes et respectueux du bien d’autrui. Ces sentiments leur ont été inculqués dès l’enfance par leurs père et mère qui les ont suffisamment fessés, et leur ont fait entrer les vertus par le cul.

Gamelin ne cacha pas au vieux Brotteaux qu’un tel langage lui semblait indigne d’un philosophe.

— La vertu, dit-il, est naturelle à l’homme : Dieu en a déposé le germe dans le cœur des mortels.

Le vieux Brotteaux était athée et tirait de son athéisme une source abondante de délices.

— Je vois, citoyen Gamelin, que, révolutionnaire pour ce qui est de la terre, vous êtes, quant au ciel, conservateur et même réacteur. Robespierre et Marat le sont autant que vous. Et je trouve singulier que les Français, qui ne souffrent plus de roi mortel, s’obstinent à en