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Désormais que mépriser. Lady Susan, bien décidée à abandonner au plus tôt son état de veuve sans fortune, jette alors son dévolu sur Sir James Martin. Elle épouse celui qu’elle destinait à sa fille et, avant qu’il soit longtemps, l’innocente et aimante Frédérique devient la femme de Réginald.

Une telle intrigue n’a guère plus d’intérêt qu’une de ces figures de contredanse où les dames changent de cavaliers, et les quelques personnages qui figurent dans « Lady Susan » ne sont pas assez vivants pour retenir l’attention. Pas un d’eux, pas même l’héroïne, ne s’impose à la mémoire avec une physionomie bien distincte. Réginald, Lady Susan, Frédérique, tous également froids et incolores évoluent avec une raideur d’automates dans une grise et morne atmosphère d’ennui. Le style même n’a rien des qualités charmantes que nous allons apprécier bientôt dans « Orgueil et Parti pris » ; il est sentencieux et terne, et — ce qui semble vraiment surprenant, — n’est jamais éclairé par une pointe de gaieté ou par la fine ironie d’une remarque humoristique. C’est peut-être là notre plus grand étonnement, lorsque nous connaissons les œuvres qui suivirent « Lady Susan », que de ne pas trouver un sourire dans ce premier essai de Jane Austen. Les lettres de Réginald de Courcy peuvent-elles être de l’auteur qui déclarait vingt ans plus tard : « Je ne pourrais jamais être poussée à écrire un ouvrage d’imagination de genre sérieux par un autre désir que celui d’échapper à une mort certaine. Si j’étais contrainte à continuer sur ce ton et à ne jamais me laisser aller à rire de moi-même ou des autres, je serais sûre d’être pendue avant la fin du premier chapitre ». [1] Comment s’expliquer que Jane Austen ait pu produire une œuvre si opposée à son tempérament ? Il faut supposer que la composition de « Lady Susan » fut une tâche

  1. Chawton, 1er avril 1816. Lettre adressée à Mr. Clarke, bibliothécaire du Prince Régent. Citée dans : « Memoir of Jane Austen ».