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fluence des forces de la vie et, mieux encore que dans le bonheur et la joie, il s’opère sûrement dans la douleur ou dans la tristesse d’un bel espoir déçu. Mais si Jane Austen ne savait pas aimer, son immaturité même la préserva de ces illusions de l’amour qui peuvent leurrer les très jeunes filles ; elle n’eut jamais à se reprocher en secret ces « méprises de l’intelligence et du cœur » qu’elle étudia plus tard dans « Emma ». Elle souriait à la vie qui lui était douce, avec la pleine confiance d’un être jeune et vigoureux, et seulement vers la fin de sa jeunesse apprit à goûter les tristes plaisirs d’un cœur mélancolique et vécut un bref et mystérieux roman d’amour.


Lorsque Lord Brabourne, un de ses petits neveux, publia en 1884 la correspondance de Jane Austen, la curiosité du public fut grande, et non moins grande aussi sa déception. Avant cette publication, on savait que la vie de Jane Austen s’était écoulée au milieu des siens, uniformément douce et prospère. Mais, malgré les quelques détails fournis par Henry Austen peu de temps après la mort de sa sœur [1] et par le « Mémoire » de Mr. Austen-Leigh, on ne savait que bien peu de chose sur ses goûts, son caractère, ses opinions ; on ignorait tout de sa vie journalière et de ce qu’elle avait pu mettre d’elle-même dans son œuvre. On pouvait donc espérer que sa correspondance, allant de 1796 à 1816 — c’est-à-dire de l’année où elle écrivit son premier chef-d’œuvre à l’année où elle composa son dernier roman — jetterait quelque lumière sur la pensée de l’auteur aussi bien que sur la personnalité de la femme. Et puisque Jane Austen avait été contemporaine de la lutte soutenue par l’Angleterre contre la France et contre Napoléon, maître de l’Europe, ses lettres appor-

  1. Northanger Abbey. London, 1818, John Murray editor, with a bibliographical notice of the author.