Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/197

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du moins de manque de relief. Vivantes et naturelles, les scènes sont toutes au même plan et baignées de la même éclatante lumière. Les sentiments sont tous et toujours au même degré moyen et n’atteignent pas un seul instant à l’émotion profonde. Peut-être le remède que Jane Austen indiquait pour donner à son roman les ombres et les contrastes qui lui manquent n’aurait-il pas été très efficace. Elle n’essaya jamais d’ailleurs d’en faire usage, craignant de détruire par là l’harmonieux développement du récit. Sa critique n’en demeure pas moins justifiée. Dans cette toile aux couleurs si fraîches, au dessin ferme et sûr, où chaque figure se détache expressive et nette, on voudrait trouver un coin de clair-obscur pour reposer ses yeux lassés par cet éclat trop vif et surtout trop soutenu. Admirable de finesse, de gaieté et d’entrain, attirant et souriant comme la jeunesse elle-même, « Orgueil et Parti pris » est, certes, un chef-d’œuvre. Mais on ne saurait lui donner ce titre sans restriction, ni, malgré l’avis de beaucoup de critiques anglais, le mettre au-dessus des autres romans que Jane Austen écrivit plus tard et dont les études plus nuancées possèdent les demi-teintes et les délicates gradations auxquelles la verve et la vivacité de son premier ouvrage ne laissent pas assez de place. Parmi les trois premiers romans écrits de 1796 à 1799, il est incontestablement le meilleur, mais le talent de Jane Austen en son plein épanouissement devait produire des œuvres plus pleines et plus fortes, et c’est donner à « Orgueil et Parti pris » le nom qui lui convient que de rappeler un chef-d’œuvre de jeunesse.

« Bon Sens et Sentimentalité » que Jane Austen commença à écrire trois mois après avoir achevé son premier roman, n’a rien de la gaieté, du mouvement et de la rapidité d’allure qui caractérisent « Orgueil et Parti pris ». Il est conçu et exécuté dans une tonalité mineure, discrète et voilée. Son intrigue, au lieu d’être entraînée par une succession d’incidents à un dénouement qui parait inévitable, hésite, s’arrête, semble interrompue.