Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/199

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

l’insignifiance de quelques personnages trahissent l’inexpérience d’un très jeune auteur. D’autre part, certains chapitres humoristiques d’une verve délicieuse, des petites scènes très bien amenées, des silhouettes comiques tracées d’une main légère et sûre qui se détachent sur le fond un peu terne, semblent avoir été ajoutés au moment où Jane Austen, en pleine possession de son talent, publia « Bon Sens et Sentimentalité » avant d’écrire les trois romans qui datent de 1811 à 1816.

Ellinor et Marianne Dashwood représentent non seulement « deux manières d’aimer » suivant le sous-titre naïvement ajouté à la première adaptation française de « Bon Sens et Sentimentalité », [1] — elles personnifient aussi deux conceptions différentes de la vie et deux attitudes opposées devant la réalité. Lorsque Willoughby, qu’elle considère comme son fiancé, s’éloigne d’elle pour épouser une riche héritière, la romanesque Marianne s’abandonne tout entière à sa douleur. Jamais, se dit-elle, chagrin d’amour n’a été plus cruel et plus profond que le sien. Ellinor lui prêche en vain la résignation. Il est facile, répond-elle, de parler d’apaisement et d’oubli quand on ne connaît pas la souffrance. Ellinor, cependant, cache une peine secrète sous la sérénité qui lui est accoutumée. Elle a appris un jour qu’Edward Ferrars, dont elle espérait devenir la femme, était depuis longtemps et à l’insu des siens, fiancé à une jeune fille de condition médiocre. Ellinor a souffert de voir ses rêves d’avenir dissipés en un instant ; elle souffre encore, mais son « bon sens » lui permet de soutenir une épreuve qui dépasse les forces de la sensible Marianne. La fiancée qu’il allait épouser par respect pour la parole donnée abandonne Edward. Il revient aussitôt à Ellinor qui accueille son retour avec joie. Éclairée à son tour par une dure expérience, Marianne, renonçant aux vains espoirs et aux vains

  1. Raison et Sensibilité ou les deux manières d’aimer, traduit de l’anglais par Mme la baronne de Montolieu. Paris, 1815 (4 vol.).