Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/205

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bien vous êtes bonne ! Mais je viens de laisser Marianne dans son lit et presque endormie. Je pense que rien ne lui sera plus salutaire que le sommeil. C’est moi, si vous le voulez bien, qui boirai ce vin. — Mme Jennings, tout en regrettant ne n’être pas arrivée cinq minutes plus lot, se déclara satisfaite de ce compromis et Ellinor, en même temps qu’elle avalait le contenu du verre se disait que, si son action efficace sur les accès de goutte était pour l’instant de fort peu d’importance, son pouvoir curatif sur un cœur affligé par un chagrin d’amour pouvait être mis à l’essai aussi bien sur elle-même que sur sa sœur ». [1] Même une scène humoristique comme celle-ci s’achève sur une note de réflexion et de tristesse, et toujours sous les apparences perce, à chaque page, la réalité souvent douloureuse. Devant la vie, l’auteur de « Bon Sens et de Sentimentalité » ne conserve plus l’attitude détachée d’observation strictement impersonnelle qu’on remarque dans « Orgueil et Parti pris ». L’analyse est ici plus subtile, l’étude des sentiments plus finement nuancée. L’affection mutuelle de Marianne et d’Ellinor — cependant exprimée avec la pudeur de sentiment qui est un des charmes de l’œuvre de Jane Austen, — se révèle dans des phrases d’une délicatesse exquise, émouvante par sa réserve même, comme si les mots devaient se contenter de suggérer, sans jamais arriver à la peindre, toute émotion vraie. Le bonheur d’Ellinor, lorsqu’elle apprend que Marianne est hors de danger est indiqué en quelques mots pénétrants, qui évoquent à mesure que nous les lisons, l’écho oublié ou le souvenir jusqu’alors inconscient d’impressions semblables : « Ellinor ne pouvait pas être gaie. Sa joie était d’une essence différente et ne la portait à rien moins qu’à la gaieté. Marianne rendue à la vie, à la santé, à ses amis, à cette mère qui l’adorait : cette idée emplissait le cœur d’Ellinor d’un apaisement délicieux,

  1. Bon Sens et Sentimentalité. Chap. XXX.