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délaisser les procédés indirects de la satire ou de la parodie. Il arriva à Jane Austen ce qui était arrivé à Cervantes, et plus tard à Fielding. Dans « Don Quichotte » et dans « Joseph Andrews » une même évolution se produit. Le héros, presque malgré la volonté créatrice de l’auteur, affirme son individualité ; son caractère se développe au cours du roman d’une façon toujours plus humaine, toujours plus près du réel. Le chevalier de la Manche, sa folie à part, se révèle le plus noble et le plus courtois des gentilshommes. De même, Joseph Andrews, qui fait d’abord un personnage assez ridicule, devient une figure virile, intéressante et vivante. Malgré les différences qui séparent « L’abbaye de Northanger », esquisse tracée par la main légère d’une jeune fille, des vigoureux et larges tableaux d’un Cervantes ou d’un Fielding, l’évolution du personnage principal comme celle de l’imagination qui l’évoque et l’étudie, suit une même courbe et, partant de la satire ou du domaine de la pure fantaisie, aboutit bientôt à la réalité.

Walter Scott disait d’« Emma », le cinquième roman de Jane Austen, que cet ouvrage avait une intrigue encore plus ténue que celle d’« Orgueil et Parti pris ». On pourrait faire à plus juste titre cette remarque au sujet de « L’abbaye de Northanger ». Catherine Morland, fille d’un pasteur de campagne, n’a jamais quitté la maison paternelle avant d’aller à Bath avec des amis. La petite provinciale est ravie de voir enfin le monde et de goûter aux plaisirs d’une grande ville. Dans un bal des fameuses « salles d’assemblée », elle rencontre un jeune homme, Henry Tilney, et après l’avoir revu à la promenade et au théâtre, se met à l’aimer de tout son cœur. Le père du jeune homme, croyant avoir trouvé la riche héritière qu’il souhaite pour belle-fille, invite Catherine à visiter la vieille abbaye de Northanger où il habite en compagnie de sa fille Eléonore. Catherine, qui a formé son esprit par la lecture des « romans délicieux de Mrs. Radcliffe », se réjouit à l’idée de voir une abbaye