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vertu par un mariage toujours suivi d’une félicité sans mélange. Vers la fin du récit, Jane Austen nous rappellera une fois encore que le sort de Catherine Morland ne ressemble guère à celui des parangons de vertu ou des merveilles de beauté célébrés dans la plupart des romans. « Henry lui était maintenant sincèrement attaché, mais s’il reconnaissait et appréciait ses qualités, s’il trouvait un véritable plaisir à être auprès d’elle, je dois avouer que son affection n’avait eu d’autre source que la gratitude ou, en d’autres termes, que le fait d’avoir deviné l’inclination de la jeune fille l’avait disposé à penser sérieusement à elle. C’est un trait nouveau dans le roman, j’en conviens, et qui rabaisse terriblement la dignité d’une héroïne. Si, par hasard, le trait est aussi neuf dans la vie réelle qu’il l’est ici, on ne pourra pas du moins refuser d’admettre que je suis douée d’une imagination puissante et originale ». [1] Non seulement l’histoire de Catherine est une histoire banale et pauvre d’événements comparée à celle d’une Emily ou d’une Ellena, mais cette petite villageoise dont l’enfance s’est écoulée dans un vieux presbytère, ne se distingue en rien du commun des jeunes filles. Elle est jolie « seulement aux jours où elle est en beauté ». Quand deux messieurs, la voyant passer, disent qu’elle est « assez gentille », son humble vanité est pleinement satisfaite ; elle a « autant d’obligation à ces jeunes gens pour cette banale louange qu’une véritable et parfaite héroïne pourrait en avoir pour vingt sonnets écrits à la gloire de ses charmes ». [2] Elle appartient si peu à ces angéliques et nonpareilles créatures, ornement des romans de Mrs. Radcliffe, que dans son enfance, elle préfère les jeux bruyants de ses petits frères à la poétique occupation d’arroser un plant de rosier. Elle pousse si loin l’ignorance des grâces qui sont l’apanage d’une héroïne, que tout en aimant la campagne au milieu de laquelle elle a grandi, elle est naturellement indifférente à la beauté

  1. L’abbaye de Nortlianger. Chap. XXX.
  2. L’abbaye de Xorthanger. Chap. III