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du comte d’Entraigues avec une délicieuse naïveté. « M. le Comte, qui est âgé, est un très bel homme, de manières si réservées qu’elles pourraient le faire passer pour un Anglais. Il a, je crois, beaucoup d’esprit et une grande culture. Il possède quelques beaux tableaux anciens qui ont fait l’admiration d’Henry, cependant que la musique du fils faisait les délices d’Eliza. Parmi ces tableaux, il y avait une miniature de Philippe V d’Espagne, le petit-fils de Louis XIV, que j’ai trouvée fort à mon goût. Le comte Julien est un musicien remarquable ». [1]

La seule réserve que fait Jane Austen au sujet des amis français d’Eliza de Feuillide est qu’ils ont la fâcheuse habitude de priser immodérément, « taking quantifies of snuff ». Elle ne voit dans le comte d’Entraigues qu’un homme du monde et un collectionneur. Elle ne soupçonne pas que la vie de ce vieux gentilhomme pourrait fournir la matière de plusieurs romans d’aventures. L’émigré dont elle admire les tableaux et les objets d’art cache sous une apparence de dilettantisme les intrigues d’un agent secret qui, après avoir trahi plusieurs maîtres, travaille en 1811 pour le compte de Louis XVIII. En lisant les quelques lignes consacrées au vieux comte d’Entraigues et au comte Julien, on regrette de ne pas trouver un mot de Mme d’Entraigues. Sous le nom de Saint-Huberty, celle-ci avait chanté à l’Opéra, où elle avait reçu les encouragements et les compliments du vieux Gluck. Quelques années plus tard, la cantatrice fameuse avait inspiré au jeune Bonaparte les seuls vers d’amour qu’il écrivit jamais. Mais, ignorant les triomphes de l’artiste et les succès de la femme, Jane Austen ne vit dans la Saint-Huberty de jadis qu’une vieille dame insignifiante dont le visage ne gardait aucune trace d’une beauté disparue.

À son retour à Chawton, elle reprit son nouveau roman, commencé en février 1811, [2] qui devait être « Le Château de Mansfield ». Son travail fut interrompu en

  1. Lettres. 25 avril 1811.
  2. Memoir. Page 95.