Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/317

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

aventure, mais l’étude du développement et des fluctuations du sentiment chez une femme d’esprit délicat et d’une grande noblesse morale. La révélation apportée par « Clarissa » domine la génération du milieu du xviiie siècle au point de vue moral et social comme les enseignements d’Addison avaient dominé la précédente. Après « l’honnêteté » des mœurs et la réserve, ou du moins une certaine retenue dans le langage, la « sensibilité » est l’enseignement que donne la littérature à la société anglaise, et surtout aux femmes auxquelles « Clarissa » s’adressait spécialement. Œuvre dont tout l’intérêt dramatique et psychologique est concentré sur une figure : celle de l’héroïne, « Clarissa » offrait aux femmes un miroir où elles contemplaient, avec la complaisance d’une attention nouvellement éveillée, la délicatesse et les trésors de sentiment de leur propre cœur. Par un hommage auquel elles ne pouvaient rester indifférentes, elles voyaient un auteur se pencher pour la première fois sur l’âme féminine et découvrir en elle une beauté jusqu’alors inaperçue. Si les « filles adoptives » dont Richardson aimait à être le confident et le directeur spirituel lui avaient fourni les principaux traits de son étude du cœur et du caractère féminin, ce vertueux ami des femmes paya largement à toutes ses contemporaines la dette de reconnaissance qu’il avait contractée envers quelques-unes. S’adressant encore au public féminin chez qui son œuvre trouvait l’accueil le plus enthousiaste, il écrivit cinq ans après « Clarissa », « Sir Charles Grandison », intéressante variation sur son premier thème. Après avoir tracé le portrait de l’héroïne, il donnait à son œuvre le pendant qui lui convenait. S’inspirant des conseils que lui prodiguaient les lectrices de « Clarissa », il réunit en l’aimable et imposante personne du vertueux Grandison les qualités morales du « gentleman » et l’aisance de l’homme du monde que les femmes souhaitaient trouver chez tous leurs contemporains.

Ces deux romans firent plus encore que de donner à la société du xviiie siècle deux types essentiels, celui de la vertu