Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/336

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L’esprit du siècle précédent continue à régir la société tout entière et si, au point de vue chronologique, la moitié de son œuvre date de la seconde décade du xixe siècle, la société qu’étudie Jane Austen est celle de « l’ancien régime ». Car, et il importe de le répéter ici, la division établie arbitrairement par le passage au point de vue numérique d’un siècle à un autre ne correspond nullement, en ce qui concerne une civilisation ou une société, à une différenciation dans l’esprit et dans les mœurs. Telle époque se prolonge au delà des années qui lui ont donné son nom et telle autre est achevée avant qu’un siècle ait égrené ses dizaines. Suivant la judicieuse remarque de Sir Walter Besant « il y eut entre 1700 et 1837 de si rares et de si insignifiantes transformations dans les mœurs, les usages, ou les idées généralement reçues que l’on peut considérer le xviiie siècle comme se prolongeant jusqu’au début de l’ère victorienne ». [1] Ce prolongement est particulièrement sensible dans les coutumes et les usages de la « gentry », classe très fermée, qui constitue un monde à part et ne reçoit que lentement et difficilement les influences extérieures.

Vivant sur ses terres, qu’il quitte moins que jamais depuis que les guerres napoléoniennes ont isolé l’Angleterre et fait abandonner la coutume d’un voyage sur le continent à la fin de l’éducation d’un jeune gentleman, un « squire » ou un baronnet se contente de la société de ses égaux. Il chasse avec eux aussi longtemps que la saison le permet, va dîner en leur compagnie toutes les fois qu’il en est prié. Dans leur société seulement il est parfaitement à l’aise. Il serait rarement assez riche pour faire figure dans la capitale — à moins de n’y passer que quelques jours chaque année — et y prendre part à la vie mondaine. Il préfère rester en province et rencontrer sans envie des gens qui

  1. « …There were so few changes, and these so slight, in manners, customs or prevalent ideas betwen 1700 and 1837 that we may consider the eighteenth century as continuing down to the beginning of the nineteenth century ». (Sir Walter Besant : « London in the Eighteenth century »).