Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/340

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d’œil que Jane Austen jette en passant sur l’aristocratie est dédaigneux et souvent moqueur. Lady Catherine de Bourgh met la plus « solennelle impertinence » dans les questions qu’elle adresse à tous ; Lady Dalrymple a mérité la réputation d’être une femme charmante « parce qu’elle sait avoir un sourire et une banale formule de politesse pour tous les gens qu’elle rencontre ; sa fille est si laide et si gauche qu’on ne l’accueillerait pas volontiers dans aucune compagnie, n’étaient sa fortune et sa naissance ». Seuls, les travers et les ridicules d’une classe que Jane Austen voyait elle-même rarement et d’un peu loin, lui paraissent dignes de remarque. En quelques phrases dédaigneuses, elle nous fait observer que le fait d’appartenir à l’aristocratie n’empêche pas les sots et les insolents de laisser voir leur sottise ou leur impolitesse, puis elle revient à l’étude de figures qui lui sont plus familières, dont elle connaît mieux les plaisirs, les occupations et les pensées.

La même raison qui lui fait introduire dans ses romans si peu de personnages d’un rang supérieur au sien lui fait négliger presque entièrement la classe inférieure. Pour elle — et son attitude à l’égard d’humbles paysans ou de serviteurs ne se dément jamais, — il existe dans le monde une classe de gens qui sont nés pour être pauvres, mal nourris, asservis à toutes les besognes trop basses ou trop rudes pour les créatures d’essence supérieure dont la « gentry » et l’aristocratie se composent. Ces gens ont leur place et leur tâche et doivent s’y tenir. Ils font partie de l’existence des personnes bien nées, car ils sont nécessaires au bien-être et au loisir, apanages des classes supérieures, mais il serait superflu de s’attarder à déplorer les misères attachées à leur condition, « ce ne serait que nous attrister inutilement ». C’est pourquoi les héroïnes de Jane Austen ne quittent guère les allées de leur parc et pénètrent rarement dans les chaumières. Elles ne connaissent de la classe populaire que les nombreux domestiques au service de leur famille et encore