Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/364

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

« recommander la complaisance et l’acquiescement devant l’inconduite ». Sir Thomas, même lorsque sa fille aura quitté Henry Crawford, ne consentira point à la recevoir à Mansfield, « ne voulant pas faire l’insulte aux familles du voisinage de leur imposer la vue de Maria », ni « donner approbation et protection à l’immoralité en essayant d’adoucir le châtiment mérité qu’elle reçoit». Si la morale à l’usage de l’aristocratie ne connaît point de telles sévérités, si les théories de Lord Chesterfield sur la galanterie sont celles dont s’inspirent encore une Miss Crawford et son entourage, la classe moyenne, bourgeoisie et « gentry », ne mesure pas son appréciation d’une faute au rang de ceux qui l’ont commise. À l’époque où Jane Austen écrit, et dans le milieu qu’elle étudie, la transformation des mœurs qui s’est opérée en Angleterre au cours du xviiie siècle a donné une nouvelle force à l’idéal puritain de dignité et de régularité dans la conduite. Celui qui enfreint l’une des lois sur lesquelles se fonde la société ne doit espérer aucune indulgence. Sir Thomas Bertram n’est pas le seul à condamner Maria. Avec lui, la « gentry » tout entière repoussera désormais celle qui a manqué aux traditions d’honnêteté et de moralité de sa classe. La morale prêchée pendant la première moitié du xviiie siècle par Richardson se trouve ainsi réalisée sans effort apparent dans le roman de Jane Austen. La vertu d’une Clarissa, le mérite d’un Sir Charles Grandison sont devenus naturels, ordinaires et moyens, chez une Fanny Price, une Elizabeth Bennet, un Edmond Bertram ou un Mr. Knightley. On ne parle plus de la vertu comme en parlait cet abrégé de toutes les perfections qu’était Sir Charles Grandison, mais on fait mieux : on la pratique à Mansfield ou à Highbury.

En même temps que le jugement de la société sur ce qui touche à la conduite évolue pendant tout le siècle dans le sens d’une moralité et d’une régularité de mœurs de plus en plus grandes, la réserve du langage, la politesse et la tempérance augmentent d’une génération à