Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/376

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Kellynch Hall ou Longbourne. À notre époque comme autrefois, le sens de la hiérarchie persiste parmi les habitants de ces demeures commodes ou somptueuses ; leur milieu a seulement changé de nom : la « gentry » du xviie et xviiie siècle est devenue « the county ». Elle garde sa place entre la haute aristocratie et les gens de la classe moyenne, commerçants et bourgeois des villes. Mais sous ces apparences, un changement spirituel s’est opéré qui a transformé toutes les valeurs morales. Telle la société peinte dans la comédie de mœurs du xviie siècle et que Lamb plaçait en dehors du monde réel par delà les frontières du bien et du mal, la « gentry » qu’étudie Jane Austen nous apparaît à l’heure présente — et pour des raisons assez semblables à celles sur lesquelles Lamb s’appuyait pour juger l’œuvre de Congreve et de Wycherley — éloignée de la réalité. Les élégants débauchés, les coquettes à la fragile vertu, que peignent les auteurs dramatiques de la Restauration sont isolés du reste du monde et ne connaissent rien en dehors de leurs intrigues, de leurs plaisirs et de leurs aventures galantes. De même, les héros de Jane Austen, héros qui sont honnêtes hommes à la fois et gentilshommes, pasteurs consciencieux, époux fidèles et maîtres bienveillants, se meuvent dans une atmosphère spéciale, dans une ambiance particulière. Ils habitent une Angleterre qui n’appartient qu’à eux. Leur univers est différent du nôtre, moins par quelques particularités superficielles de coutumes, d’habitudes ou par les divergences plus profondes de l’éducation que par leur conception de la société et des nécessités de la vie sociale. Les gentilshommes du château de Mansfield ou de Kellynch Hall, enfermés dans leur égoïsme et dans leurs préjugés de caste ont une âme que la nôtre ne peut plus comprendre. Ils sont heureux, jouissent de leur bonheur comme d’une chose due et acceptent sans révolte et sans « vaine sympathie » la souffrance, la pauvreté qui existent autour d’eux. Leur sérénité, leur beau contentement d’eux-mêmes et de la vie les éloignent