Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/383

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du roman où elle figure, l’incarnation du bon sens et de la pondération. Gracieuse et douée en même temps que sensée, elle montre que la raison, chez une petite Minerve habillée à la mode de 1798, est essentiellement une vertu aimable. Ellinor sait accepter gentiment les ridicules et les travers des gens qui l’entourent. Elle s’en amuse sans jamais prendre vis-à-vis de personne des airs de supériorité dédaigneuse. Elle sourit avec indulgence devant la sottise ; elle sourit encore devant la désillusion et l’amertume d’un amour déçu. La réserve et la fierté sont ses armes en face de la méchanceté d’une rivale ou des caprices de la destinée et, parmi ses sœurs charmantes, Ellinor est celle en qui s’exprime avec le plus de vérité cette pudeur de sentiment sous laquelle la femme anglaise dérobe souvent aux yeux indifférents le fond de son cœur et de sa pensée. À la fierté d’Ellinor Dashwood, Fanny Price joint la grâce exquise d’un être dont la force morale s’accompagne d’une faiblesse touchante, d’un grand besoin de tendresse et de protection. Le charme de la femme et la douceur de l’enfant s’unissent en elle et, si toutes les héroïnes de Jane Austen sont aimées, Fanny Price seule entend la voix de l’amour prononcer pour elle des paroles de tendresse caressante, des mots qui bercent et consolent. Sans défense devant la vie, livrée par sa timidité, par la sujétion dans laquelle elle a été élevée à l’influence de volontés plus fortes que la sienne, elle trouve dans sa douceur même le moyen de désarmer la colère de son oncle et d’écarter les assiduités importunes d’un prétendant qu’elle n’aime pas. La raison, le bon sens, la noblesse de caractère sont chez d’autres héroïnes les qualités les plus admirables ; c’est une innocence et une timidité presque enfantines chez cette « violette blanche » [1] poussée à l’ombre des futaies de Mansfield. La même inspiration créatrice qui avait fait d’Ellinor Dashwood une héroïne de roman douée d’un bon

  1. Dans son étude intitulée « Jane Austen and her Works » (London. 1880) Sarah Tytler appelle l’héroïne du « Château de Mansfield » a white violet.