Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/386

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Lorsqu’elles aiment, comme Catherine Morland, à lire des ouvrages qui ne renferment pas une pensée sérieuse, elles peuvent le faire à loisir. Le savoir appris dans les livres ne peut ni leur être d’un grand secours ni risquer de leur nuire. Acquièrent-elles parla lecture des romans romanesques quelques idées fausses, l’expérience les fera disparaître. Pour se conduire dans la vie, elles n’ont pas besoin de savoir par cœur les meilleures pièces de leur volume de morceaux choisis (Elegant extracts), elles ont besoin d’apprendre à juger, à raisonner sainement, à se défier de l’imagination et des surprises de la sensibilité. Naturellement sensées, comme Elizabeth ou Ellinor, elles sauront d’instinct deviner, entre deux formes d’action ou deux règles de conduite, celle qu’il conviendra d’adopter. Et si, comme Emma ou Marianne, elles ont plus d’intelligence ou de sensibilité que de jugement, elles commettront des méprises, des erreurs même, et l’expérience leur apprendra à leurs dépens à se montrer désormais plus avisées. Elles gagnent ainsi de bonne heure le sentiment de leur propre responsabilité, une grande sincérité vis-à-vis d’elles-mêmes et la notion très exacte des rapports qui unissent l’action à ses conséquences. Elizabeth, par exemple, déclare que son talent sur le « piano-forte » est médiocre parce qu’elle ne s’est pas efforcée de le cultiver : « Mes doigts ne courent pas sur le clavier avec l’agilité que je vois chez tant de personnes. Ils n’ont pas autant de force ni de dextérité et n’atteignent pas à la même puissance d’expression. Mais j’ai toujours pensé qu’il y a là de ma faute, parce que je n’ai pas voulu prendre la peine de travailler ».

L’éducation que reçoivent ces jeunes filles s’adresse au jugement plutôt qu’à l’esprit. Marianne Dashwood, il est vrai, aime la lecture, et surtout celle d’un poète comme Cowper. Anne Elliot peut discuter avec le sentimental capitaine Benwick des mérites respectifs de Byron et de Scott et recommander au jeune homme de lire les œuvres des moralistes, les lettres et la vie de personnages « célèbres