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folie, mais, en toute franchise, je ne regrette pas de demeurer relativement insignifiante. On peut parfois payer trop cher sa gloire. Kitty et Lydia, bien plus que moi, ont à cœur cet abandon. Elles sont jeunes et n’ont pas d’expérience; elles ne connaissent pas encore cette déplorable vérité : à savoir que les jeunes gens les plus séduisants, aussi bien que les plus laids, ont besoin d’argent pour vivre ». [1]

De même qu’Elizabeth Bennet, flattée par l’admiration et les compliments du beau Wickham, avait pris un moment pour de l’amour les satisfactions de sa vanité, Emma Woodhouse veut se croire éprise de Frank Churchill : « Elle ne pouvait douter qu’il eut pour elle une très grande admiration, une préférence bien marquée, et cette conviction, jointe à tout le reste, lui faisait penser que, sans aucun doute, elle l’aimait aussi… À n’en pas douter, je l’aime, se dit-elle, je m’en aperçois à cette sensation de désœuvrement, de lassitude, de confusion, à ce peu d’envie que j’ai de m’occuper et à cette façon de trouver tout ce qui m’entoure insupportable et ennuyeux ! Je dois l’aimer. Je serais l’être le plus singulier du monde si je ne l’aimais pas pendant au moins quelques semaines… Emma demeurait persuadée qu’elle aimait, son opinion ne variait que sur la grandeur de son amour. Elle pensa tout d’abord qu’elle aimait beaucoup Mr. Churchill et reconnut ensuite qu’elle l’aimait fort peu ». [2]

Moins intelligente qu’Emma ou moins sensée qu’Elizabeth une jeune fille pourrait se laisser prendre plus aisément au piège de la vanité satisfaite. Mais — comme Jane Austen fait de la sottise parfaite et totale une exception — seules sont poussées à quelque irrémédiable folie ou à quelque fâcheuse aventure celles qu’aveuglent l’orgueil ou le manque de bon sens. Maria Bertram, courtisée pendant quelques jours par l’irrésistible Henry Crawford, se voit brusquement dédaignée. Henry Crawford, sûr d’avoir fait la conquête de la belle Miss Bertram, pense

  1. Orgueil et Parti pris. Chap. XXVI.
  2. Emma. Chap. XXX et XXXI.