Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/399

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Si leur conception de l’amour est éloignée de toute passion et mérite plutôt le nom d’amitié conjugale, ce n’est pas seulement que les femmes soient moins exclusivement gouvernées par le sentiment et l’imagination qu’on ne le croit d’ordinaire. C’est aussi que, subissant très fortement l’influence de leur milieu, elles sont accoutumées à considérer l’amour non point comme une condition essentielle de tout mariage mais comme un élément d’où dépendent et le bonheur et la dignité d’une union. Dans l’Angleterre du xviiie siècle, et surtout dans la « gentry », l’existence des femmes n’est honorée et relativement indépendante que dans le mariage. Les filles de la « gentry » n’ont pas, comme celles de la noblesse française, la ressource d’entrer au couvent, de gouverner une petite ruche monastique si elles n’ont pas l’espoir d’être reines dans la maison d’un mari. Se marier est pour elles une nécessité, presque un devoir envers elles-mêmes et envers leurs familles. Réussissent-elles à trouver celui qu’elles pourront aimer ou qu’elles aiment au moment où elles s’engagent à l’épouser, leurs chances de bonheur en sont d’autant augmentées, mais, même sans amour et à moins d’éprouver à son égard une véritable aversion, elles ne doivent pas refuser un prétendant qui leur offre une situation acceptable aux yeux de leur monde. Tout humoristique qu’elle soit, la définition du mariage que donne Jane Austen dans « Orgueil et Parti pris » n’est pas sans exprimer une grande partie de la vérité. « Sans qu’elle eût une très haute opinion des hommes ou de la vie conjugale, le mariage avait toujours été son but : c’était d’ailleurs la seule situation honorable pour des filles bien élevées et presque sans fortune. S’il était très douteux qu’il pût assurer leur bonheur, il était leur plus agréable ressource contre le besoin ». [1] Elizabeth Bennet, en repoussant la demande d’un prétendant dont la fortune est pourtant suffisante, donne dans ce refus une preuve plus grande qu’il ne parait tout d’abord de

  1. Orgueil et Parti pris. Chap. XXII.