Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/411

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ardente malgré des années de séparation. La première entrevue d’Evelina et du père qui l’a abandonnée est baignée de plus de larmes, emplie de plus de tendresse que si un père passionnément attaché à son enfant la retrouvait après de longues et cruelles angoisses. Mme Price, au contraire, quand Fanny revient au bout de dix ans d’absence, ne peut aimer cette fille qui lui est presque devenue étrangère autant qu’elle aime les enfants dont elle n’a jamais été séparée.

De même, les enfants auxquels il est si facile d’attribuer une obéissance, une douceur angéliques, apparaissent dans l’œuvre de Jane Austen sous un aspect bien éloigné de celui que leur attribuent l’imagination et la sensibilité de certains auteurs. Comme dans la vie dont son roman nous offre l’image, les enfants sont le plus souvent bruyants, capricieux et querelleurs. Lady Middleton peut se vanter d’avoir en sa petite Anne-Marie « l’enfant la plus docile et la plus douce qui soit au monde ». Mais il faudrait qu’Ellinor ait l’oreille bien dure pour ne pas convenir, quand ce modèle de douceur et de sagesse se met à pousser des cris perçants, « que l’enfant la plus bruyante n’aurait guère pu faire mieux ». Une seule figure gracieuse et aimable se détache parmi les silhouettes d’enfants gâtés que Jane Austen mêle parfois à ses groupes de famille : le petit garçon qui danse avec Emma Watson et dit à son oncle en voyant passer la jeune fille : « Regardez ma danseuse, mon oncle, voyez comme elle est jolie ! »

Non plus que l’amour maternel, la tendresse conjugale n’est une grande vertu chez Mme Bennet ou chez Lady Bertram. Après un mariage d’inclination, il ne leur reste plus envers leur mari, au bout de vingt ans de vie commune, qu’une affection d’habitude, qu’une familiarité dont la douceur première s’est aigrie ou changée en indifférence. Les fiancées joyeuses et confiantes en l’avenir que nous voyons aux dernières pages des romans doivent puiser en elles-mêmes leur foi au succès de leur