Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/412

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vie conjugale, car elles voient autour d’elles bien peu d’exemples encourageants. La mésentente d’un couple mal assorti fournit dans « Orgueil et Parti pris » le sujet de plusieurs scènes humoristiques et cette ironique remarque : « Si Elizabeth s’était fait une opinion sur le mariage d’après ce qu’elle voyait chez ses parents, elle aurait eu une idée peu flatteuse de la félicité conjugale ou du bonheur domestique ». Cependant, ce n’est pas une impression de désenchantement qui se dégage pour elle — et pour nous — de ces tableaux. Elizabeth est assez sensée pour comprendre que, si Mr. et Mme Bennet ne sont point parfaitement heureux en ménage, la faute en est surtout à eux-mêmes et très peu au mariage. Le bonheur qu’on peut trouver dans une union bien assortie est peint dans « Persuasion ». Ce bonheur est rare, il est vrai, mais il peut toujours être atteint par une femme assez bonne et assez intelligente pour devenir, avec les années, une compagne de plus en plus chère à son mari. L’amirale Croft a suivi l’amiral dans toutes ses campagnes et « n’a jamais eu le temps de se croire malade ou malheureuse que l’année où elle est restée à Deal pendant que son mari naviguait dans la mer du Nord ». La tendresse mutuelle de ces vieux époux est, aux yeux d’Anne Elliot, « une parfaite image du bonheur ». Anne prend plaisir à les voir se promener ensemble et à remarquer comment « lorsqu’ils rencontrent des amis et qu’un petit groupe se forme autour d’eux, Mme Croft a l’air de s’intéresser aussi vivement à la conversation et d’y prendre autant de part qu’aucun des officiers de marine qui sont venus les saluer ». Les femmes dont la vie est inutile et ennuyée, mères sans tendresse ou épouses indifférentes, celles dont les années ont terni la beauté mais non pas développé l’esprit ni le cœur, sont nombreuses dans le roman de Jane Austen parce que le milieu qu’elle peint est un milieu d’oisiveté et d’inaction. Mais nous savons — comme le savent ses jeunes héroïnes — que les années ne sont point à redouter et ne sauraient nous rendre