Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/433

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la vie et l’action des événements opèrent, sans qu’il soit possible de s’opposer à elles. La réalité donne toi ou tard un démenti à toutes les affirmations de l’ignorance et de l’erreur et refuse de se plier aux formes qu’on prétendait lui imposer. Les préjugés d’Elizabeth Bennet ne peuvent subsister devant l’évidence de la bonté de Darcy, les combinaisons d’Emma échouent parce qu’elles sont fondées sur la vanité et le caprice.

La lutte de la raison et du bon sens, champions de la vérité, contre les leurres de la suffisance et de la vanité, tel est le fond du petit drame psychologique que Jane Austen a associé aux aventures de son « Emma ». Si elle avait suivi la coutume, chère à tant de romanciers de son époque, d’expliquer dans un sous-titre le sujet de son récit, elle aurait sans doute qualifié « Emma » de « Comédie des Erreurs ». Car c’est bien là, transposée du monde extérieur au domaine de la conscience psychologique, une des « Comédies des Erreurs » les plus divertissantes et les mieux soutenues qui aient jamais été écrites. Emma Woodhouse est intelligente et autoritaire ; par caprice d’enfant gâtée plutôt que par une fantaisie de jolie femme — elle est heureuse d’être jolie mais n’a pas de coquetterie — elle s’avise de vouloir gouverner la destinée et régenter les inclinations des gens qui l’entourent. Elle décrète en elle-même que le jeune pasteur, Mr. Elton, épousera Harriet Smith, et que tous deux lui devront le bonheur de leur vie. Elle décide, avec la même sagesse, que Frank Churchill s’éprendra d’elle, et qu’elle aura le double plaisir de recevoir les aveux et de refuser la main du jeune homme. La vanité fait taire en elle, non seulement la raison, mais le sens commun. Il lui faut subir de cruelles déconvenues pour s’apercevoir qu’elle a employé son intelligence à combiner une série de sottises. Jusque-là, elle a accueilli avec un sourire de pitié les avertissements de son beau-frère, qui a deviné sans peine à quoi tendaient les amabilités de Mr. Elton.

« — Il y a chez Mr. Elton, dit Emma, une si parfaite