Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/436

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une silencieuse méditation pendant quelques minutes. Ce fut assez pour qu’elle put lire dans son propre cœur. Un esprit comme le sien, une fois ouvert au doute, ne pouvait s’arrêter en chemin. Elle se rapprocha de la vérité, la reconnut et la comprit tout entière. Pourquoi était-ce une chose si déplorable qu’Harriet fut éprise de Mr. Knightley plutôt que de Frank Churchill ? Pourquoi ce malheur s’augmentait-il du fait qu’Harriet se croyait aimée ? Une idée, comme un éclair, traversa l’esprit d’Emma : Mr. Knightley ne devait épouser personne autre qu’elle-même. Elle vit clair, en quelques instants, dans sa conduite et dans son cœur et les jugea avec une lucidité dont elle avait jusque-là été incapable…. Quel aveuglement, quelle folie l’avaient poussée ?

Le reste du jour et la nuit suivante ne furent pas assez longs pour ses réflexions. Elle demeurait étourdie sous le choc des événements qui s’étaient précipités en quelques heures. Chaque instant lui avait apporté une nouvelle révélation, et chaque révélation avait été si humiliante! Comment arriver à comprendre tout cela! Comment arriver à dissiper les illusions qu’elle s’était plu à créer et parmi lesquelles elle avait vécu, les erreurs, les méprises de son intelligence et de son cœur. Comprendre, et comprendre entièrement l’état de son âme était sa première tâche… Elle évoqua le passé… elle vit que, pas un seul instant, elle n’avait jugé Mr. Knightley autrement qu’infiniment supérieur à Frank Churchill et que, toujours, elle avait considéré l’estime de Mr. Knightley comme son bien le plus cher. Elle vit qu’en se persuadant du contraire, en se forgeant des chimères et en agissant à l’encontre de cette vérité, elle avait été dans l’erreur la plus complète, et n’avait rien connu de ce qui se passait dans son cœur… Telle fut la conclusion de ses premières réflexions, telle fut la connaissance de soi-même à laquelle elle atteignit aussitôt qu’elle se fut efforcée d’y atteindre… Avec une insupportable vanité, elle s’était crue dans le secret des sentiments d’autrui ;