Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/442

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grande épreuve ; il est aussi le résultat d’un penchant naturel à cet équilibre, peut-être instable, mais toujours reconquis, de l’être moral et de la vie extérieure qu’on appelle l’optimisme. Ici encore, Jane Austen dépasse son époque et, par delà l’inquiétude romantique, réalise dans sa sphère étroite et baignée d’une si pure lumière, quelque chose du « vouloir vivre » moderne. On a vu que sa psychologie ne se guindé jamais, ni dans une formule, ni même en des réflexions semées ça et là dans les pauses du dialogue, et qu’elle se révèle dans les actions et les paroles de chaque personnage. De même, sa philosophie de la vie appartient à l’œuvre tout entière et s’y mêle comme le timbre d’une voix se confond d’une façon indéfinissable avec l’impression que cette voix produit sur nous. Dans la société qu’elle décrit, la moralité puritaine demeure, mais la foi des puritains s’est éteinte. L’inquiétude et l’angoisse que connaissent toutes les âmes où peut naître l’émotion religieuse, n’existe ni pour elle ni pour ses héros. Les préoccupations morales sont inconnues à Steventon comme à Mansfield. Le passé n’apporte à la « gentry » qu’une tradition de vie honnête, heureuse et honorée, et, parce qu’on est encore aux premières années du xixe siècle, l’idée ou l’illusion du progrès n’a pas introduit dans ce milieu le ferment d’agitation et le désir d’activité utile qui caractérisent la vie moderne.

Cependant, la douceur de vivre qui s’exprime à chaque page n’a rien d’un contentement béat. Elle n’est pas seulement, chez les Bennet ou chez les Woodhouse, une satisfaction passive. Elle s’augmente à mesure que chacun prend conscience de la place et du rôle qu’il doit remplir dans la société. La vie a prouvé et prouve à chaque heure aux habitants de Highbury ou de Mansfield qu’ils sont faits pour le bonheur et qu’ils ont droit à une existence exempte de toute grande souffrance. Mais le bonheur qui, dans cette œuvre, apparaît invariablement comme la loi de la vie, ne s’acquiert pas grâce à des secrets que l’auteur essaye jamais de nous révéler. Jane