Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/461

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tention : celle qui concerne les animaux. Sur ce point, sa sensibilité et, partant, son art, sont en défaut. Si elle exprime dans son œuvre moins d’amour pour la nature qu’elle en éprouve réellement, elle ne dit rien des animaux parce qu’ils ne lui inspirent ni intérêt ni affection. Exclusivement occupée d’étudier des caractères et d’observer des visages humains, la comédie de salon qu’est son roman ne lait aucune place à la vie des bêtes. Ni Mr. Darcy, ni Mr. Knightley, ni même Tom Bertram, lorsqu’il va tirer des faisans dans les bois de Mansfield, ne sont accompagnés dans leurs promenades par un chien favori. Jamais Elizabeth Bennet ni Emma Woodhouse n’interrompent leur rêverie pour répondre à un regard patient, empli d’humble tendresse; jamais elles ne s’inclinent pour caresser d’une main amie et distraite, un museau quêteur. C’est seulement avec Miss Mitford, dans quelques pages délicieuses de «Notre Village» et, plus tard, avec Charlotte Brontë qu’un cheval ou un chien seront jugés dignes de mériter la sympathie et l’attention. Le lévrier « Fleur-de-Mai » qui mêle ses gambades aux éclats de rire et aux jeux de la petite Lizzie, dans « Notre Village », le grand terre-neuve. Pilote, qui suit les chevauchées de Mr. Rochester et semble au crépuscule un de ces loups-garou dont parlent les légendes Scandinaves, [1] ne sauraient être admis sur les pelouses de Mansfield ou dans les charmilles où Mr. Woodhouse, à l’abri du vent, de la chaleur et de la poussière, se promène chaque jour un quart d’heure. L’amitié qui lie l’homme aux animaux est un sentiment auquel la sensibilité de Jane Austen ne sait pas atteindre. Elle n’en saisit que le ridicule et nous montre seulement Lady Bertram « plus occupée de son carlin que de ses enfants » et donnant à son vilain petit chien une tendresse et des soins que sa sottise et son égoïsme sont incapables d’accorder à de meilleurs objets.

  1. Jane Eyre, by Charlotte Brontë. Chap. XII.