Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/491

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raillerie d’un auteur étudiant de loin et de haut les ridicules de pauvres créatures sottes, illogiques et faibles, Jane Austen nous procure au spectacle de la vie un plaisir sans amertume. Les personnages qu’elle fait servira son divertissement et au nôtre sont capables, elle le sait, de lui inspirer autre chose que des réflexions ironiques. L’agressive vanité d’une Mme Elton, la lourde et plate sottise d’un Mr. Collins sont à ses yeux bien différentes des innocents travers d’une Miss Bates ou d’un Mr. Woodhouse. « Je souhaite, fait-elle dire à Elizabeth Bennet, ne jamais tourner en ridicule le bien ni la bonté ». Mais lorsqu’une excellente créature possède, à côté de très réelles qualités, des travers qui appellent irrésistiblement l’humour et la raillerie, pourquoi se refusera rire de ceux-ci ? Si jamais on l’avait interrogée sur les motifs de son attitude constamment ironique, Jane Austen aurait peut-être répondu que l’humour, comme l’esprit, souffle où il veut, et que la raillerie, détachée de tout jugement moral, de toute appréciation des valeurs spirituelles, garde toujours le droit de s’exercer sur ce que la raison reconnaît comme opposé à elle-même.

Alors que la plupart des humoristes condamnent plus ou moins indirectement les erreurs ou les fautes qu’ils aperçoivent chez leurs semblables, elle se borne à les constater et à nous indiquer en quoi ils s’éloignent de la vérité et de la raison. Son humour a, de plus, l’inestimable pouvoir d’illuminer, à mesure qu’il les atteint, les existences les plus plates, le milieu le plus terne et le plus monotone. À sa lueur, les salons de Highbury, les caquetages de Mme Bennet, l’élégance un peu guindée du château de Mansfield, deviennent intéressants, et, tant que dure l’agréable et flatteuse illusion que sait créer en nous sa vision à la fois divertissante et juste du réel, nous croyons avec Jane Austen, que, dans le jeu multiple des apparences, les mille aspects de la sottise, de la vanité, et parfois de la méchanceté humaines, ne sont rien de plus que les scènes d’une comédie toujours neuve, jouée par d’infatigables