Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/506

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œuvre n’embrasse qu’un petit nombre de situations et de caractères, mais comme ceux-ci sont empruntés directement à la réalité, l’œuvre que ses limites étroites sembleraient devoir écarter de toute vérité profonde, participe néanmoins à l’innombrable diversité de la vie.

Une même ambiance, l’influence des mêmes traditions rapprochent les personnages de chaque nouveau roman de certaines figures déjà entrevues ou longuement étudiées dans une autre partie de l’œuvre de Jane Austen. Sir John Middleton, Sir Thomas Bertram, et Mr. Knightley sont guidés par les mêmes principes dans l’administration de leur domaine ; leurs soins et leur ambition tendent à un unique but, qui est de transmettre intacts à leur héritier le renom et les biens de leur famille. Les jeunes pasteurs, Mr. Collins, Edmond Bertram, Henry Tilney, ont une égale conscience des obligations tout extérieures que leur impose leur qualité de « clergymen » ; les héroïnes, Elizabeth, Emma ou Fanny partagent les mêmes goûts et ont reçu l’éducation que reçoivent à cette époque les filles des gentilshommes de province. Mais cette ressemblance ne va pas plus loin ; chaque membre d’un même groupe, « squire », pasteur ou « jeune dame » possède une physionomie distincte et nous révèle une individualité nettement marquée. Sans que son caractère ou ses talents s’élèvent jamais au diapason héroïque, il vit à nos yeux d’une vie qui lui est propre. Pareil à la plupart des êtres que nous rencontrons chaque jour, il ne se distingue pas du commun des hommes par des qualités ou des défauts éclatants, et cependant sa figure et son caractère s’imposent à notre attention et à notre souvenir parce qu’ils nous apparaissent toujours illuminés de la lumière du réel.

Peinture de mœurs aussi bien qu’étude psychologique, l’œuvre de Jane Austen a subi, avec les années, une inévitable transformation. À mesure que se sont modifiées les apparences si fidèlement décrites dans ses pages, chacun des romans s’est enrichi de la grâce émouvante qui s’attache à l’image de choses à jamais disparues. Bornant son étude à « trois ou quatre familles » dans un milieu provincial, cette œuvre dépasse les limites modestes que son auteur lui avait assignées. Nous y découvrons aujourd’hui, avec les mœurs et l’esprit d’une caste, quelque chose de plus large : l’expression d’instincts et de tendances invariables qui appartiennent à