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l’âme de la race. Jane Austen en traçant un admirable portrait de Sir Thomas Bertram, ne s’est pas inquiétée de la généalogie du châtelain de Mansfield. Nous la connaissons cependant. Le digne Sir Thomas doit compter parmi ses ancêtres, le chevalier qui, après de lointaines expéditions, célébra son retour au pays natal par un pèlerinage au sanctuaire de Saint Thomas de Cantorbéry. Les conditions extérieures de la vie se sont transformées. Le « parfait et noble chevalier » de Chaucer est devenu le paisible « squire » qui n’abandonne son château qu’une seule fois, pour aller visiter ses domaines aux colonies. Mais, à quatre siècles de distance, les mêmes vertus « loyauté, honneur, indépendance, courtoisie, » demeurent les qualités auxquelles se reconnaît le gentilhomme, dans un milieu dont l’idéal moral se transmet, presque immuable, de génération en génération. Dans la vie d’incessante bien qu’inutile activité de la « gentry » au xviiie siècle, dans ces âmes honnêtes et droites, fortement attachées au réel, éprises d’ordre, de paix et de prospérité matérielle, nous reconnaissons quelques-uns des traits essentiels de l’âme anglaise lorsque ni l’aventure, ni le rêve ne lui donnent des ailes.

Par là, malgré l’exiguïté de son cadre et en dépit de l’uniformité de son dessin, le roman de Jane Austen semble réaliser le conseil de perfection que donnait Hamlet aux baladins d’Elseneur : il est un miroir offert à la vie, miroir étroit, mais dans lequel passe un reflet de l’éternelle vérité que le génie sait fixer dans les formes innombrables de l’art.


L’œuvre si personnelle, si neuve, de Jane Austen est trop intimement liée à une certaine conception de la réalité, trop exclusivement consacrée à la peinture de certaines conditions sociales pour être une de ces œuvres vraiment fécondes dont la formule peut être reprise et la tradition suivie. Peu de romanciers sont demeurés aussi strictement enfermés que Jane Austen dans les limites de leur expérience et nul n’est moins marqué à l’empreinte de son époque pour subir plus profondément l’influence de son milieu immédiat. Aussi son roman, qui ne porte la trace de presque aucune influence