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éléments apportés par l’évolution sociale, l’œuvre de Miss Yonge et, en particulier, « L’héritier de Redclyffe » [1] et « La chaîne de Marguerite », s’inspirent directement du « Château de Mansfield ». Du « Château de Mansfield », les romans de Miss Yonge se rapprochent par leur étude d’un amour qui se confond le plus souvent avec l’amitié, par la peinture juste et délicate des sentiments qui unissent entre eux les membres d’une même famille, par le sens très net de l’importance considérable, sinon suprême, de la « gentry » dans la société anglaise. Tout cela infiniment moins net, moins précis, moins subtil ; le charme, le sourire et l’humour de Jane Austen n’apparaissent pas ici. L’œuvre entière de Miss Yonge est imprégnée de cette moralité un peu prêcheuse qui, dans « Le Château de Mansfield », donne aux sages discours d’Edmond Bertram l’air d’être empruntés aux homélies de quelque sermonnaire anglican. Nous avons vu que ces passages du « Château de Mansfield » sont une exception chez une parfaite artiste, éloignée de toute intention didactique et de tout souci d’édifier ses lecteurs. C’est à ces quelques pages où Jane Austen veut faire œuvre de moraliste, que le roman de mœurs familiales de Miss Yonge peut être comparé. Mais on trouve dans « Le Château de Mansfield » un dédommagement aux sentencieuses réflexions d’Edmond Bertram dans la verve et l’humour avec lesquels l’auteur met en scène ses autres personnages. « L’héritier de Redclyffe », au contraire, est tout entier baigné dans l’atmosphère de la plus touchante, de la plus admirable et de la plus ennuyeuse vertu. L’idéal puritain, aussi bien que l’idéal social du « gentleman » et de la femme anglaise, trouvent leur plus complète expression dans la personne et dans la vie des héros et des héroïnes de Miss Yonge. Jeunes « squires » affables et bienveillants, jeunes filles nobles et riches, qui, après avoir amené les paysans du village au degré de piété requise, épousent un missionnaire et vont avec lui prêcher l’Évangile et les vertus anglaises aux indigènes d’Océanie, tous sont parés de trop de perfections pour que nous les considérions jamais comme des êtres réels. C’est bien la vie anglaise, le milieu et l’esprit de la « gentry » que Miss Yonge veut peindre.

  1. The heir of Redclyffe. 1853 - The Daisy Chain. 1800, by Charlotte Yonge.